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La vérification des faits de Fanny : Comment parlerons-nous aux gens du futur ?

Si nous enfouissons nos déchets radioactifs de façon sûre, comment faire en sorte que personne n'entrera en contact avec ceux-ci par inadvertance dans cent mille ans ? Comment faire savoir aux gens du futur ce qui est enfoui dans le sol ? « Uranium-235 », la nouvelle BD Kiekeboes, aborde un défi important dans notre secteur : la gestion à long terme des déchets radioactifs.

© En collaboration avec De Standaard Uitgeverij. Tous les dessins et scénarios leur appartiennent.

 

SCK CEN - De Kiekeboes - Informatiebehoud (2024)

Pour l'instant, tous les exploitants choisissent le stockage géologique profond pour gérer de façon sûre leurs déchets. Cela signifie que les déchets sont enfouis profondément dans le sol pour des centaines de milliers d'années. À l'abri des humains et de l'environnement, dans des couches de roche ou d'argile. Lisez-en plus sur les déchets hautement radioactifs sur cette autre page Kiekeboes.

En savoir plus sur les déchets hautement radioactifs dans Factcheck #5 :
Enfouissons-nous nos déchets de haute activité à 400 mètres de profondeur ?
2022_SCKCEN_Tabloo_Onderzoekskast

Dans ce fact check, nous tentons de répondre à la question de la mémoire nucléaire. Comment informer les humains du futur ? En Belgique, l'ONDRAF, l'Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies, est responsable de la gestion des déchets et donc aussi de la préservation des connaissances et de la mémoire relative à ces déchets. Aujourd'hui, des mesures importantes sont déjà prises en Belgique pour préserver la mémoire nucléaire des déchets radioactifs. 

C'est par exemple le cas de Tabloo, le centre des visiteurs et de communication que l'ONDRAF a construit avec la communauté locale et les partenariats MONA et STORA à Dessel. Conserver cette connaissance pendant des centaines de milliers d'années représente cependant un défi d'une grande complexité, et de nombreuses études et décisions seront encore nécessaires. Des scientifiques se penchent sur la question dans le monde entier. Parmi eux, les chercheurs en sciences sociales du centre de recherche SCK CEN.

Bon à savoir : Ce fact check étudie la meilleure manière de communiquer avec les gens dans le futur. Nous aurions aussi pu prendre une toute autre direction et faire le choix de ne rien communiquer du tout et d'essayer d'effacer tous les souvenirs. De tout refermer et d'oublier. En considérant que l'oubli supprimera toute envie pour les générations suivantes d'aller creuser. Si nous prenons l'exemple des pyramides, ce sont elles qui nous ont incités à faire des fouilles, mais ce n'est évidemment pas ce que recherchaient les architectes de l'Égypte ancienne.  

SCK CEN - De Kiekeboes - Informatiebehoud (2024)
©The landscape of thorns, by Michael Brill and Safdar Abidi

Temps et langue

« Ces douces eves retraient en canel, cil oisel chantent doucement et soëf  ». Il est fort peu probable que vous compreniez au premier abord ce qui est écrit ici. C'est pourtant du français. Ou du moins du français tel qu'il était parlé vers le XIe siècle. Aujourd'hui, on écrirait quelque chose comme : « les douces eaux retrouvent leur lit, les oiseaux chantent doucement et suavement ».

Cela signifie que la langue change, et vite. Il lui a suffi de mille ans pour devenir inintelligible. Dès lors, quelle langue devons-nous utiliser pour informer nos lointains descendants à propos des déchets radioactifs ? Tous les scientifiques s'accordent à dire que se fier uniquement à la langue n'est pas suffisant. Et donc que nous devrons trouver d'autres solutions, comme l’utilisation de dessins et illustrations. 

Le saviez-vous ? : dans les années ‘90, différentes équipes américaines de scientifiques et artistes ont élaboré des plans de communication à long terme concernant un stockage de déchets radioactifs au Nouveau-Mexique. Certains voulaient surtout attirer l'attention des futurs habitants sur les dangers du lieu de stockage. Une des propositions consistait à installer sur le site même des ouvrages d'art ou des structures pour avertir les gens des éventuels dangers, comme de grandes piques sortant de terre pour dissuader les prochaines générations.

Matériaux éphémères

Lorsque nous songeons à conserver des informations, nous avons tendance à penser que les informations que nous enregistrons aujourd'hui se transmettront de manière inchangée aux humains qui vivront dans le futur (éloigné).

Les capsules temporelles constituent un exemple typique de ce mode de réflexion : aujourd'hui, on trouve régulièrement des boîtes ou des coffrets contenant des lettres, petits objets ou cartes postales que nos aïeux ont délibérément conservés pour nous donner une idée de la façon dont ils vivaient. Reste évidemment à savoir si ces informations seront encore lisibles et compréhensibles lorsque la capsule sera ouverte après des milliers années. 

Vous voulez un exemple ? Prenez une disquette. La plupart d'entre vous ne la connaissent plus que sous la forme d'une icône servant à enregistrer des fichiers sur votre ordinateur. Pourtant, la disquette a été le support de données par excellence pendant plusieurs décennies. Mais essayez de trouver aujourd'hui un ordinateur encore capable de lire une disquette... 

En d'autres termes, il ne suffit pas de décider si nous allons utiliser la langue ou des dessins. Le support doit lui aussi résister au temps qui passe.

SCK CEN - De Kiekeboes - Informatiebehoud (2024)

Le saviez-vous ? : les sondes spatiales Voyager 1 et 2 ont emporté une sorte de capsule temporelle qui devait répondre à peu près aux mêmes défis. ‘The Golden Record’ est un disque en cuivre doré un peu comparable à un disque de gramophone. Il contient des sons et des images, avec notamment un message de salutation en 55 langues. L'objectif ambitieux de cette capsule temporelle était de transmettre un message à d'éventuelles créatures extraterrestres. Une ambition qui ressemble à plus d'un égard au problème que constitue la transmission d'informations à nos descendants, dans des centaines de milliers d'années… 

Transmission active d'informations

Nous pouvons résoudre le problème du caractère éphémère de la langue et des supports de données en adaptant continuellement les informations aux nouvelles langues ou en les recopiant sur de nouveaux supports de données. Cela nécessitera un rôle actif de l'homme dans le futur. Comment pouvons-nous le garantir ? 

Il n'existe pas de solution concrète. Une importante piste de réflexion ici est que la culture joue un rôle essentiel dans la pérennisation d'un message. Et comment intégrer quelque chose dans une culture ? Vous l'avez deviné : avec l'art, des histoires, la religion, des rituels, ... 

Des idées ont déjà été proposées, telles que ...

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    Atomic Priesthood

    Un des exemples qui fait réfléchir, même s'il ne semble guère réaliste, est l'idée de Thomas Sebeo de créer un « Atomic Priesthood » : une sorte d'ordre religieux sur le site de stockage qui serait responsable de la transmission des connaissances. Le succès de cette initiative réside surtout dans la création de rituels et de traditions propres à décourager les gens de se risquer dans un site de stockage. Cette idée n'a jamais été imaginée comme une recommandation concrète, mais montre combien il est important et difficile d'intégrer quelque chose dans une culture. 

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    The Ray Cat Solution

    Une idée encore plus folle vient de deux philosophes, Françoise Bastide et Paolo Fabbri. Ils souhaitaient élever des chats rayonnants qui changent de couleur chaque fois qu'ils s'approchent d'un matériau radioactif. Leur but était (tout comme dans le cas de l'ordre religieux) de créer des légendes et des mythes qui se transmettraient via des poèmes, des peintures et de la musique. Leur message était « si vous voyez un chat changer de couleur, éloignez-vous ! » 

    Plus d'infos

Quelles informations conserver ?

Imaginons que nous ayons trouvé la solution idéale pour transmettre les informations et parler avec les humains du futur. Il nous faudrait alors encore décider des informations que nous voulons conserver. 

Les gens du futur doivent-ils savoir exactement où nos déchets radioactifs sont enfouis ? Et de quel type de déchets il s'agit ? Et si certains voulaient en faire mauvais usage ? 

Devons-nous conserver tout ce que nous savons de la gestion des déchets radioactifs ? Serait-ce d'ailleurs possible, eu égard à la masse gigantesque de rapports, publications scientifiques, documents politiques et autres informations que nous avons déjà produits (et parfois déjà perdus) ? Ou devons-nous plutôt miser sur des informations générales ? 

La meilleure approche consiste sans doute à conserver différentes informations pour différents publics cibles. Des descriptions plus détaillées pour les acteurs responsables à court terme, des messages plus généraux pour les gens qui vivront dans un futur plus éloigné.

Conclusion

La conservation d'informations concernant les déchets radioactifs est donc beaucoup plus complexe qu'on pourrait le penser de prime abord. Les planches de la bande dessinée Kiekeboes ne suffiront donc pas ! Des linguistes, anthropologues, sociologues, archéologues, décideurs mais aussi des artistes et écrivains réfléchissent dès lors depuis des décennies à la manière de répondre à ces défis.

Aujourd'hui, les experts internationaux pensent avant tout qu'il faut utiliser différentes méthodes de conservation des informations relatives aux déchets radioactifs pour le futur. 

Deux manières

  • Nous utiliserons pour cela des capsules temporaires, œuvres d'art, marquages en surface et souterrains des sites de stockage.

  • Il s'agit d'une forme plus active de communication, qui consiste à transmettre des messages et supports de données d'une génération à l'autre, par exemple par des musées, archives, enseignements et activités culturelles. 

Les experts recommandent de conserver différents types d'informations destinées à un public cible différent. Cela irait de messages très généraux à des descriptions détaillées des déchets radioactifs et de la manière dont ils sont enfouis. Les informations importantes contenues dans le « Key Information File (KIF) » seront de préférence conservées à différents endroits. 

En utilisant des méthodes d'information différentes et qui se chevauchent, la probabilité que certains messages puissent se transmettre dans la durée augmente. La perte d'une ou de plusieurs initiatives au fil du temps serait alors moins grave. Bien entendu, seul l'avenir nous dira si telle ou telle chose a fonctionné comme nous l'attendions...

Si vous voulez en lire plus à propos de cette approche intégrée, vous trouverez plus d'informations dans le rapport de l'OCDE AEN (Organisation de coopération et de développement économiques, Agence pour l'énergie nucléaire)  :

Lisez le rapport

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